Le tassergal nouveau est arrivé

 

A cette époque, on n'imaginait même pas avec Magalie, qu'il put y avoir devant la grande Motte des poissons plus gros qu'une sardine ou un maquereau.

On pêchait donc tranquillement à la traîne sur le voilier Deixon quand brutalement les évènements nous emmenèrent à poser un doute sérieux sur cette certitude.

Quasi simultanément, nos deux lignes à l'arrière partent, un peu comme quand une vedette vous les accroche et continue sa course, mais là, pas de vedette en vue, il y a un truc louche sous l'eau; la canne de Magalie n'y résiste pas, le fil casse instantanément, je reste seul pour lever le mystère, et en effet, il y a quelque chose de vivant au bout de la ligne, et de toute évidence pas content du tout, je commence à négocier la chose avec la plus grande diplomatie, quand se pointe, bien entendu, une vedette, qui passe sur mon fil malgré nos hurlement conjugués, et l'emporte; vu nos cris hystérique, le pilote se demande si une vie ne serait pas en danger quelque part et consent à s'arrêter, on lui crie qu'il a accroché la ligne, il est sympa, il relève son moteur, voit en effet le fil, le libère et s'en va; et oh! Merveille, il n'est pas cassé et le poisson, bienveillant, exemple de patience, est toujours là.

Le combat dure ce qu'il faut, il nous fait de magnifiques pirouettes hors de l'eau là bas en bout de ligne, du grand
spectacle style pêche au marlin sous les tropiques, et on le remonte enfin, c'est un gros inconnu sur la région à l'époque, plein de dents, et qui ne rentre même pas dans la glacière. Il se présentera comme étant un tassergal, ou pomatomus saltator comme chacun sait.

On rentre triomphants au port, sauf que Magalie fait un peu la tête de savoir le sien dans la nature.Tassergal

Qu'à cela ne tienne, on remet ça le lendemain, et on va voir ce qu'on va voir, avec du fil en proportion de nos ambitions, chacun sa canne, et les mêmes leurres que ceux à succès de la veille, et droit sur la première chasse de mouettes; c'est instantané, la canne part aussitôt, aussi fort, aussi vite, et je remonte le premier tassergal de la journée.

Dès que c'est fait on refonce sur la chasse, ça retape aussitôt, et je remonte mon deuxième tassergal de la journée; au troisième tassergal (toujours sur ma ligne) il est trop gros, j'en casse l'épuisette, mais il rentre quand même dans le bateau; au quatrième (toujours sur ma ligne) je propose à Magalie de le remonter, elle refuse, ça se présente mal, je sens que je vais perdre mon équipière; ce qui serait fort préjudiciable quand il s'agit d'aller rentrer le foc par mauvais temps et qu'il faut aller prendre des paquets de mer à l'avant du bateau.

Comme il n'y a plus d'épuisette, c'est directement à la canne que le poisson voltige vers le bateau; vu le nombre, on peut se permettre d'en perdre un; il atterrit où il peut, directement dans la cabine et sur les coussins bien entendu, un an après on y retrouvait encore des écailles.

Au cinquième tassergal (toujours sur ma ligne) je commence à m'inquiéter et à invoquer Neptune, Poséidon et compagnie car Magalie commence à faire nettement la tête (elle était gamine à l'époque) (elle n'a pas changé depuis); le poisson voltige dans le bateau et je refonce dans la chasse.

Et là, je ne sais pas s'il faut remercier Neptune ou Poséidon, ou les deux, c'est ENFIN la canne de Magalie qui part!

Mon Dieu! (mes Dieux) pourvu que son frein de moulinet soit bien réglé, pourvu que les noeuds soient bien faits, pourvu qu'une vedette n'arrive pas, bref Magalie négocie bien son affaire, et le poisson est ramené près du bateau; seul problème, il est gros, et il n'y a plus d'épuisette, et pas question de le ramener à la volée; quand c'est le quatrième ou le cinquième, d'accord, mais pas quand c'est le premier; je vois mal le fil lui casser sous le nez, et SON Corps à corps sans mercipoisson filer à l'anglaise; c'est un coup à la voir rentrer à pied!

Face aux circonstances et à la dureté de la vie, je n'ai pas le choix, ou ce poisson monte à bord, ou je deviens navigateur solitaire à partir de ce soir.

Alors, c'est parti, je me mets en maillot de bain, gilet de sauvetage, gants de protection, et je vais affronter la bête à mains nues (presque), les yeux dans les yeux, d'homme à homme.

Pendant tout ce temps, la bête sournoise a réussi à faire un méli-mélo avec le fil, si bien qu'on ne sait plus trop si elle est accrochée par la gueule ou par la queue, mais on ne va pas s'attarder sur de pareils détails, j'arrive dans ses éclaboussures à lui passer l'index et le majeur dans l'ouïe bâbord, sans même me prendre moi même à l'hameçon, et ollé! d'un geste large et victorieux, le poisson atterrit dans le bateau.

OUF!


 

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